Par Jane Anson,
correspondante pour Decanter magazine et auteur de Bordeaux Legends.
“C’est sur
ce domaine que j’ai appris comment devenir vigneron et ça veut dire beaucoup
pour moi !”
“Notre philosophie reste la même : nous nous attachons à produire des raisins sains et à préserver le vignoble pour les générations futures.”
“Comme une jolie femme un bon vin n’a besoin que d’un minimum de maquillage pour se faire apprécier !”
“Notre production
confidentielle
s’adresse en particulier aux vrais amateurs
de vins artisanaux.”
Propos
recueillis par
Jane Anson
Michel Laroche, une nouvelle aventure
avec Le Domaine d’Henri
Jane Anson, juillet 2013, extraits
Expliquez-moi les origines du Domaine d’Henri ?
Les origines vigneronnes de la famille remontent très loin dans le temps. Jean Victor a acheté ses premiers lopins de vigne en 1850 sur le village de Maligny mais ce n’étais pas encore ce qu’on peut appeler un domaine. En cherchant encore davantage en arrière on trouve des ancêtres nés en 1695 qui possèdent quelques pieds de vigne mais on peut vraiment dire que c’est Louis Laroche, né en 1781, qui a été le premier vigneron, même si la surface qu’il exploitait était certainement très petite. Les vignes sont ainsi passées de génération en génération et la surface s’est étendue, lentement mais sûrement. Quand mon grand-père s’en est allé au début des années 60, mon père Henri a hérité des deux hectares de vignes que mon grand-père Jean avait plantées et quand j’ai rejoint le vignoble familial à la fin des années 60 mon père avait six hectares ; ce qui était déjà une belle surface pour l’époque.
Actuellement Le Domaine d’Henri exploite huit hectares de vignes, 4,5 dans le premier cru Fourchaume et 3,5 de Chablis sur le village de Maligny, là où Jean Victor a réellement commencé le domaine. D’autres vignes ne sont pas encore libres à l’exploitation, elles le seront dans quelques années, la surface totale atteindra alors quatorze hectares en propriété ; ce qu’on peut appeler un petit domaine familial où l’on a le temps de se concentrer sur les détails.
Et comment vous voyez le futur ?
Le futur du Domaine d’Henri est assuré, il va passer aux générations suivantes de la famille. C’est sur ce domaine que j’ai appris comment devenir vigneron et ça veut dire beaucoup pour moi. J’ai passé la plupart de mes vacances d’été à travailler dans le vignoble et je connais parfaitement chaque parcelle. La plus vieille vigne a été plantée en 1937, ce qui veut dire 75 ans et c’est à partir d’une sélection des plus belles grappes de cette parcelle que nous produisons notre cuvée Héritage. Notre Fourchaume Vieilles Vignes provient d’une parcelle plantée par mon père et moi et 1970, bientôt 45 ans. Le Fourchaume est lui récolté sur des vignes plantées pour moitié en 1964 et 1999. Le Chablis que nous produisons sur le village de Maligny provient de replantations de 1988 et 2001, vingt ans d’âge moyen, avec une complexité qui progresse chaque année. La route est tracée, il n’y a qu’à poursuivre.
Chablis a certainement beaucoup changé depuis votre enfance ?
J’avais une quinzaine d’années quand je me suis dit que j’allais être vigneron, à cette époque, au début des années 60, le vignoble était toujours en déclin depuis la fin du 19ème siècle après que le phylloxera ait anéanti toute la viticulture, l’arrivée de nouveaux vins bon marché sur le marché parisien grâce aux chemins de fer, les problèmes de gel de printemps à répétition des années 50 ; bref ce n’était pas la richesse dans le vignoble. Mes parents, comme tous leurs amis locaux étaient obligés d’avoir d’autres activités pour survivre, élevage et céréales, il était impossible de ne vivre que de la vigne.
Ce n’est vraiment qu’à la fin des années 60 que les choses ont commencé à s’améliorer; la confiance retrouvée, le vignoble s’est alors développé. Il est ainsi passé de 600 ha en 1960 à 5.000 ha aujourd’hui. Mais plus important que le taille du vignoble c’est l’ambition qui règne dans le vignoble qui m’impressionne. Les vignerons chablisiens savent maintenant que nous produisons ici un vin unique, plein de caractère qui mérite d’être protégé.
Quelle est votre philosophie en ce qui concerne la viticulture, quels principes appliquez-vous dans le vignoble ?
J’ai toujours essayé de faire le mieux possible à la vigne, comme mon père et mon grand-père ont fait avant moi, c’est seulement avec des beaux et bon raisins que l’on peut espérer produire un bon vin. Nous devons toujours traiter la vigne avec beaucoup de soin et de respect, considérer chaque souche individuellement en adaptant la taille de manière à produire la juste quantité de fruits, s’assurer que les grappes, après effeuillage de la face du rang la moins exposée au soleil et après vendange en vert si nécessaire seront bien ventilées pour pouvoir atteindre la maturité dans des conditions optimum. Ma philosophie dans le vignoble est très simple, mis à part le travail de la vigne et du sol, nous intervenons le moins possible et laissons la nature s’exprimer. Nous pratiquons une viticulture raisonnée de manière à ne pas traiter si il n’y a pas de besoin, mais après des pluies importantes avec de la chaleur par exemple nous devons faire très attention car le mildiou peut se développer très rapidement. Nous avons commencé l’année 2013 alors que tout notre vignoble était en Bio, mais avec les horribles conditions des mois de mai et juin avec une pluviométrie deux fois supérieure à la moyenne il n’a pas été possible de poursuivre en Bio et nous avons dû nous résoudre à faire un traitement conventionnel pour sauver la récolte. Immédiatement après avec les conditions sèches et ensoleillées qui ont prévalu nous avons repris en Bio, mais sans le label car nous avons fait un traitement conventionnel.
Mais notre philosophie reste la même nous nous attachons à produire des raisins sains et à préserver le vignoble pour les générations futures.
Vous m’avez dit que vous sélectionniez les souches de votre plus ancien vignoble, pouvez-vous m’expliquer ?
Nous avons commencé en 2012 une sélection massale dans notre vigne la plus âgée de Fourchaume, plantée en 1937, alors que les clones n’existaient pas encore. Nous avons là un patrimoine génétique unique que nous voulons absolument conserver. La plantation comporte environ 4000 souches que nous avons inspectées une par une avant la vendange en considérant la qualité des bois, la qualité et le nombre de raisins. De cette première sélection nous avons identifié et marqué 300 souches qui seront à nouveau passées en revue avant la vendange 2013 pour en éliminer encore une centaine ce qui nous en laissera environ 200 sur lesquelles, nous prélèverons des échantillons de bois de manière à les analyser en laboratoire pour s’assurer qu’elles ne sont pas porteuses du virus du court noué (dégénérescence de la vigne qui compromet sa durée et la qualité des fruits). Après toutes ces opérations nous devrions obtenir une centaine de souches saines, toutes génétiquement différentes, destinées à la reproduction.
Après greffage, les jeunes souches résultant de cette sélection finale seront plantés devant notre chai à Chablis où nous allons ainsi créer notre propre conservatoire qui va représenter l’ADN de notre vignoble. De cette parcelle d’un peu plus de 1000 pieds, nous produirons tous les plants destinés aux plantations nouvelles ainsi qu’aux repiquages dans les autres vignes.
Que se passe-t-il dans la cave ?
Là encore nous intervenons le moins possible. Chaque parcelle est bien entendu vinifiée séparément de manière à laisser chaque terroir s’exprimer. Nous privilégions les levures indigènes et sommes parfaitement heureux avec des vins qui titrent 12° naturels sans addition de sucre pour renforcer le degré de manière à exprimer pleinement le potentiel aromatique de chaque parcelle. Je pense vraiment que la minéralité est la signature de Chablis et tout ce que nous faisons va dans ce sens. Dans le même esprit et suivant les millésimes, nous limitons l’utilisation des fûts entre 10 et 35% et nous remplaçons les fûts par quart chaque année de manière à ce que le caractère du fût neuf soit à peine perceptible. Nous assemblons alors les vins provenant des fûts et des cuves pour réaliser nos cuvées. Nous aimons la rondeur et la complexité que le fût apporte mais nous obtenons un caractère plus oxydé que dans des cuves d’acier inoxydable. Le bois ne doit jamais dominer. Nous assemblons ensuite les vins vinifiés en cuves et en fûts pour obtenir le parfait équilibre… Comme une jolie femme un bon vin n’a besoin que d’un minimum de maquillage pour se faire apprécier !
Vous êtes connu comme un promoteur de la capsule à vis, es-ce toujours vrai ?
J’ai commencé des essais en 2001 après avoir rencontré de très sérieux problèmes de bouchage. Sans parler de l’horrible goût de bouchon, il n’y a rien qui me mette de mauvaise humeur comme d’ouvrir une bouteille de 15 ans d’âge et de constater que l’oxydation a ruiné ce beau vin. C’est totalement inacceptable quand vous avez passé une année à choyer votre vigne plus une année dans votre cave à essayer de produire le meilleur vin possible de vous en remettre au hasard d’un bouchon. Au Domaine d’Henri, toutes nos bouteilles sont bouchées avec des capsules à vis car je crois que c’est la meilleure solution technique que nous pouvons trouver pour fermer une bouteille et je ne crois pas que je vais changer d’avis, n’en déplaise aux traditionaliste. Les qualités évidentes de la capsule à vis sont sa neutralité en matière de goût et surtout son étanchéité très supérieure au bouchon de liège qui préservent la fraîcheur et la minéralité de notre vin pour beaucoup plus longtemps et c’est ce nous recherchons.
Sur quels marchés allez-vous vous concentrer ?
Nous nous concentrons sur nos marchés traditionnels et ils sont nombreux, les vrais amateurs de vins artisanaux existent partout de par le monde, notre production s’adresse en particulier à eux, qu’ils les dégustent chez eux où dans leurs restaurants favoris. Nous avons donc des accords avec des distributeurs spécialisés dans les vins de domaines, en France comme dans les principaux pays consommateurs.
Quelles sont vos ambitions pour Le Domaine d’Henri ?
Nous sommes ambitieux pour le futur du Domaine d’Henri et pour essayer de produire le meilleur vin possible. Je ne suis plus aujourd’hui un jeune homme et je ne travaille plus seulement pour moi, je travaille avec et pour mes enfants. Cécile, ma fille aînée, travaille à plein temps pour le domaine, elle ne rechigne pas à tailler la vigne pendant l’hiver et la soigner tout au long de l’année avec l’aide des vignerons qui travaillent chez nous. C’est elle qui assure le côté ingrat des tâches administratives. C’est elle aussi qui reçoit les clients et qui enregistre et suit les commandes. Si tout est en ordre c’est bien grâce à elle !
Mes deux derniers enfants sont encore trop jeunes, Romain est encore étudiant et Margaux a pour le moment choisi un autre voie. Ils n’ont pas encore rejoint le domaine mais la porte leur est grande ouverte. Nous verrons ce qu’ils décideront. Peut-être viendront-ils se joindre à nous, où l’un de leurs enfants, choisiront de revenir au domaine ? Laissons l’avenir décider !
Le futur est positif pour Chablis. Les vins sont maintenant de meilleure qualité que ce qu’ils n’étaient il y a encore 10 ou 20 ans. Il y a maintenant à Chablis de jeunes vignerons qui ont un véritable amour pour leur terroir kimméridgien et les vins que nous y produisons. J’ai une grande confiance dans l’avenir, les vins de Chablis ont trouvé une large audience de par le monde et le vignoble relève ces nouveaux défis avec assurance.
Je ne peux que conclure en reprenant une des phrases favorites de mon père quand il débouchait une bouteille de son Fourchaume favori : « C’est la plus pure expression du chardonnay ! »