"Doux rêve devenu réalité" par F.Durand-Bazin pour le Figaro
À 60 ans, Michel Laroche s'est construit une propriété chablisienne aux antipodes de celle qu'il avait dirigée toute sa vie.
En 2009, la crise financière touche de plein fouet le secteur viticole. Les Anglais, notamment, se détournent des vins de Chablis, devenus trop chers, au profit de ceux du Nouveau Monde. Le Domaine Laroche, dirigé par l'énergique Michel Laroche, souffre d'autant plus qu'il s'agit de l'un des leaders de l'appellation. Il se trouve également fragilisé par des acquisitions de vignobles au Chili, en Afrique du Sud et dans le Languedoc. L'homme n'a pas d'autres choix que de chercher un partenaire financier. Ce sera la famille languedocienne Jeanjean, qui fusionne les deux entités pour créer Advini. Fin de l'aventure pour Laroche ? Pas tout à fait.
Le jeune sexagénaire, en marin passionné, profite de sa nouvelle retraite pour aller parcourir les océans, souvent rejoint par Gwenaël, son épouse, restée dans le nouveau groupe Advini. Mais, sur les flots, une idée germe dans son esprit, celle de repartir - presque - à zéro pour créer un petit domaine familial qu'il pourrait léguer à ses enfants. Lors de la fusion avec Jeanjean, il a eu l'habileté de laisser en dehors de l'opération les vignes héritées de ses parents. Le voilà alors parti dans une nouvelle aventure, qui débute avec le millésime 2012.
Un fort bel accueil
Son domaine, il l'appelle du prénom de son père, Henri. Comme pour mieux appuyer cet hommage familial, il habille même ses cuvées d'une étiquette reproduisant une photo d'Henri et Madeleine, sa mère, prenant leur déjeuner dans le coffre de leur 2CV break, un jour de vendange, en septembre 1961. Et pour poursuivre cette politique de transmission, il y associe ses trois enfants. Cécile et Margaux y travaillent, l'une à l'administration, l'autre à la commercialisation, mais pas encore Romain. "Le domaine a débuté avec 8 ha seulement, dont 5,5 ha de premier cru Fourchaume, explique Michel Laroche. D'ici à 2019, lorsque l'ensemble des baux sur les autres vignes viendra à expiration, nous exploiterons 22 ha de chablis, sans grand cru."
Pour vinifier et élever ses vins, Michel Laroche bâtit, à l'entrée de Chablis, un chai moderne et pratique pour travailler dans le confort, érigé au milieu d'un terrain sur lequel il va planter 1.200 pieds de chardonnay, issus d'une sélection opérée depuis 2012 sur la parcelle la plus ancienne du domaine. Il y vinifie enfin ses 2014, les deux millésimes précédant ayant été élaborés au sein des installations du Domaine Laroche. Pour l'heure, seuls les 2012 ont été commercialisés, et ont d'ailleurs reçu un fort bel accueil, les 2013 devant sortir dans quelques semaines.
Le chablis générique est issu des vignes les plus jeunes (20 ans en moyenne, tout de même) et annonce immédiatement la couleur. À la fois riche et minéral, tendu et fruité, il exprime le style que Michel Laroche veut insuffler aux vins du domaine (15€). Sur la parcelle de Fourchaume, il a produit trois cuvées. Le premier cru, au caractère iodé et citronné affirmé (24€), la cuvée Fourchaume Vieilles Vignes, au nez lardé fumé, ciselé et doté de beaucoup d'énergie (29€) et, enfin, la cuvée Héritage, issue des plus beaux raisins et vinifiée à hauteur de 37% dans des fûts bourguignons, se révèle à la fois la plus riche, la plus épicée, la plus minérale et tendue (39€). Le millésime 2013 s'est annoncé plus délicat à mener à bon port. Si le chablis village reste toujours minéral et fringuant, Michel Laroche ne souhaite pas commercialiser de cuvées Vieilles Vignes et Héritage sur Fourchaume. Une partie des jus sera vendue sous une nouvelle étiquette, "Les Allées du domaine", qui, même si elle revendique l'appellation Fourchaume premier cru, doit être considérée comme le second vin du domaine.
Voilà ainsi Michel Laroche heureux, fier de son petit domaine, aux antipodes de celui qu'il avait conduit durant des décennies à quelques encablures de là. "Je peux à nouveau faire le tour de mes vignes au moins une fois par semaine, un plaisir que je ne m'étais pas offert depuis de nombreuses années", s'enthousiasme-t-il en goûtant au bonheur de travailler ainsi en famille. On ne peut que souhaiter bon vent à ce marin de Chablis et à ses enfants.
L'article sur le Figaro Vin, ici